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A sa construction en 1961 par la S.A “du téléski du Grand-Bornand” (photo 1), le téléski de la Floria était le plus haut (arrivée à 1793m d’altitude) et le plus long (1756m) de Haute-Savoie.

Ce fut le premier pour lequel on utilisa l’hélicoptère pour couler les massifs des pylônes. Son tracé, excepté le départ et l’arrivée, n’était pas celui du télésiège actuel car il partait beaucoup plus en aval, possédait un virage principal (à la hauteur du croisement des pistes actuelles des “Pessotays” et des “Fougères”) et un virage léger vers l’arrivée.

Ce téléski portant le numéro de série 1328 était un appareil “Pomagalski” de 130 CV de type “T.100” (dessin 2). Il offrait un beau dénivelé (531m), une pente moyenne à 32% pouvant atteindre 57%. Sa vitesse était si élevée (4.5 m/s contre 3.5 m/s pour la plupart des téléskis) que l’on faisait des bonds prodigieux au démarrage : les chutes au départ étaient donc légion… D’ailleurs, toutes les poulies de compression de l’appareil étaient équipées, dans le sens de la montée, de doubles couronnes anti-déraillement afin de pouvoir élever la vitesse d’exploitation de cette longue installation sans crainte de perdre du temps à retirer le câble en cas d’incident.

La durée du parcours était de 6mn 20s ; le cadencement entre chaque perche sur la ligne était à l’origine de 31.2m (soit 7.7s) si bien que 55 personnes seulement pouvaient se trouver un même temps sur la ligne en montée. On montait sur la voie de droite. La ligne d’origine était composée de 21 pylônes en tout, numérotés de 2 à 22, en plus des gares de départ et d’arrivée.

Situé à 1262m d’altitude à proximité du torrent dans un replat magnifique à l’origine sauvage et boisé et du petit chalet abritant les conducteurs du téléski, le départ triangulaire en treillis de poutrelles formait une structure métallique impressionnante, capable de stocker 112 perches (photos 3 et 4). La poulie d’entrée de gare verticale dominait majestueusement l’édifice, signalant de loin sa présence (photo 5). La poulie motrice, ainsi que celle de sortie de gare, était inclinée.

Dès le départ, histoire de se mettre en jambes, on s’envolait littéralement : le dos prenait un “bon coup” au passage ! Après une zone plate d’une vingtaine de mètres, on atteignait rapidement le pylône n°2 (simple voie compression) avec sa double couronne anti-déraillement typique de tous les pylônes compression de la Floria (photo 6). A cet endroit on était encore occupé à repositionner correctement sa perche entre les cuisses. Passé le “tac” caractéristique dudit pylône, on attaquait la première côte, marquée en son sommet par le pylône n°3 (double voie support).

Ensuite, la pente devenait moins raide : on passait ainsi à droite du chalet de la Bournerie qui n’était qu’une ferme à l’époque : à ce niveau la piste faisait une dépression bien marquée dans la neige car on coupait le chemin menant à ce chalet, puis la légère montée se poursuivait de façon assez linéaire. On passait ainsi le quatrième pylône (double voie support) puis le cinquième (double voie support en montée et support/compression en descente). Cette partie de la ligne est visible sur les photos 7 à 9.

On atteignait les premiers arbres du bois de droite en arrivant au pylône n°6 (simple voie support/compression ; la compression étant ornée de deux anti-dérailleurs en couronne). La pente se raidissait par la suite : on passait ainsi le pylône n°7 (double voie support) ; la pente, un peu moins forte, se poursuivait jusqu’en sortie du bois de droite, c’est-à-dire juste avant le pylône du virage n°8. C’est à cet endroit également que débutait le bois de gauche. On atteignait donc une zone plate où se trouvait le pylône du virage n°8, simple fût, avec ses deux grosses poulies à doubles couronnes presque horizontales.

Le téléski faisait ainsi un angle sur la gauche ; au loin se profilait déjà la terrible montée. Ainsi, après une légère côte, on atteignait le neuvième pylône (support en montée et support/compression en descente) devant supporter de très fortes tensions car il réceptionnait les perches qui venaient du n°17, après une immense portée de 744m (photo 10) ! Il était, avec le n°17 et le pylône du virage n°8, le seul pylône de la ligne à posséder des boulons d’ancrage de 45mm (au lieu de 39mm pour tous les autres) et des massifs renforcés qui avait des dimensions bien supérieures (1.5m x 1.5m x 1.75m) à celles des autres.

Ensuite, on quittait le bois sur la gauche pour parcourir une sorte de faux plat sur lequel on avait à peine le loisir d’angoisser en regardant la pente se profiler rapidement à l’horizon : on regardait parfois passer les perches tout en haut dans le ciel sur la voie de retour, avant de doubler à gauche le petit chalet dont le toit nous éblouissait quand les rayons du soleil le frappait (photo 11). Vingt secondes plus tard, le sinistre “tac” du dixième pylône (compression simple voie) retentissait, annonçant un long passage à la pente particulièrement irrégulière “en escalier” : ainsi au pylône n°11 (simple voie support) situé 70m plus haut, la pente se radoucissait avant de s’accentuer à nouveau jusqu’au pylône n°12 (simple voie support) après lequel se trouvait un “replat” tout relatif (voir également photo 11).

Déjà le “tac” du treizième pylône (simple voie compression) dûment couronné nous rappelait que la pente allait à nouveau s’accentuer sur une centaine de mètres : on guettait alors au bout le quatorzième pylône (simple voie support) sur son promontoire où la pente faisait une courte halte de quelques mètres, disposant de quelques secondes pour analyser l’état de la piste et s’inquiéter de la façon la moins pire d’aborder la “corniche” qui se profilait vite à l’horizon notamment lors de forts enneigements (certains hivers, à cet endroit, il fallait creuser pour passer, photo 12). Déjà, le claquement sec du pylône 15 (simple voie compression couronné) nous indiquait que nous y étions : si ce passage au ras de la crête surplombant l’arrivée actuelle du téléski du Stade était tant redouté c’était en raison de la pente qui était la plus forte de la ligne (57%, je vous le rappelle), en dévers, verglacée car souvent à l’ombre et truffée de rochers et de branchages qui se décrochaient à la moindre occasion des flancs de l’arête !!!

Après une dizaine de secondes de sueurs froides, on passait le seizième pylône (simple voie support) et les choses allaient en empirant : en effet, entre les pylônes n°16 et n°17 qu’une grande distance séparait, le câble de montée était si bas qu’on devait se voûter pour tenir correctement la perche oblique par rapport au câble qui “tirait” pas mal dans le bras, ajoutant au parcours une souffrance supplémentaire. Malheur donc au skieur qui chutait à ce funeste endroit ! Si il ne redescendait pas sur les fesses la longue côte, percutant au passage les autres skieurs qui montaient, il devait se débrouiller skis de deux mètres au pied pour rejoindre le bas car c’était à l’époque un hors pistes difficile, affrontant selon les conditions météorologiques du moment une neige profonde ou cartonnée, des coulées voire des buissons en début de saison !!!

Le pylône n°17 (double voie support) marquant la fin de ce cauchemar était singulier par ses poulies inclinées qui en faisait un pylône de virage à droite, certes très léger, mais néanmoins le second de l’installation. Il était ancré au sol par un massif renforcé, plus gros destiné à supporter la contrainte latéralisée et inaugurait une zone plate troublée quelques secondes plus tard par le “tac” du pylône n°18 (simple voie compression couronnée) marquant le début d’une côte sans commune mesure avec ce qui avait précédé : on atteignait ainsi rapidement le dix-neuvième pylône (double voie support, voir photo 13) puis le n°20 (simple voie support) marquant la fin du raidillon.

Après une zone en légère descente, le dernier “tac” du pylône n°21 (simple voie compression couronnée) marquait l’ascension finale vers la petite crête d’arrivée. Quelques mètres après avoir passé le pylône d’arrivée n°22 (double voie support, avec sa poulie de retour classiquement inclinée), le sommet était atteint : on lâchait alors la perche et on se laissait glisser sur la droite dans la descente (photo 14). La gare d’arrivée en contrebas était une classique poulie de renvoi flottante (possédant une double couronne anti-déraillement) supportée par un pylône en treillis métallique (n°23) ancré sur la crête auquel elle était reliée par un câble auxiliaire de tension supportant un contrepoids de 1200 kg.

Durant l’été 1976, toute l’aire d’arrivée fut remaniée, l’arrivée du télésiège de la Tolar un an plus tôt n’étant pas étrangère à la modification du tracé. Le pylône d’arrivée fut reculé quelques mètres en aval et la poulie de renvoi fut éloignée, ce qui rallongea la ligne de 7m. Le vingt et unième pylône disparut, ramenant la ligne de 21 à 20 pylônes intermédiaires tandis que le n°20 fut transformé en support/compression. En bas, la voie de retour du pylône 3 a également été transformée en support/compression. Curieusement, ces modifications ne furent pas effectuées par le constructeur d’origine mais par la société Montaz-Mautino.

Ce troisième téléski avait dès sa mise en service, le 11 janvier 1962 (photo 15), relancé l’attrait pour la station du Grand-Bornand qui depuis 1953 vivotait tant bien que mal. On m’a dit qu’au temps de la concurrence entre les deux compagnies de remontées mécaniques des petits malins prenaient le forfait meilleur marché de S.A “Chinaillon Beausite”, et attrapaient au vol les perches libres du téléski de la Floria !

Mais étant la plus longue des remontées mécaniques partant du centre du Chinaillon, offrant un joli dénivelé et desservant de beaux champs de neige, il fut dès sa mise en service dépassé par son propre succès et saturé de façon quasi permanente dès l’apparition du soleil… Les constructions du téléski de la Bournerie (1975, photo 9), des télésièges de la Tolar (1975), du Lachat, des Outalays, du Châtelet (1976) puis des Languières (1979), moins bien placés, plus lents et plus courts que l’inégalable téléski de la Floria n’empêchèrent pas l’énorme file d’attente de persister à son départ du matin au soir (photo 16).

Bien que son temps fut compté, le téléski fit de la résistance durant plusieurs années car malgré un débit horaire faible de 520 personnes/heures, il demeurait la plus rapide de toutes les remontées mécaniques du Chinaillon et était le seul à pouvoir tourner lors de conditions météorologiques défavorables comme les vents violents fréquents sur la Floria…

Devant les critiques de la clientèle, désormais habituée au débit de télésièges plus sûrs et plus confortables, sa carrière bornandine finit pas s’achever au printemps 1981 au grand dam des puristes qui lui vouaient un véritable culte : son démontage commença avant même la fin des vacances de Pâques de la dernière zone, avant la fin de la fonte des neiges ! C’en était cette fois fini du fabuleux téléski de la Floria, sauveteur de la station du Grand-Bornand…

L’appareil n’étant pas si vieux, il fut réinstallé sous le nom de téléski de “l’Etoile des Neiges” à Serraval, au col du Marais, mais il n’y tourna pas beaucoup car l’altitude de son départ était inférieure à 900 mètres et il finit par être mis au rebut à la fin des années 1990, quand le domaine de Serraval ferma définitivement, victime d’un manque de neige devenu chronique.

En 1981, il fut remplacé au Chinaillon par l’ancien télésiège 3 places du même nom (presque deux fois plus lent : 2.5m/s) à son tour démonté pour céder la place à un télésiège débrayable 6 places en 2008 permettant à nouveau de faire rimer l’accès au sommet avec “rapidité”, le débit et la sécurité en plus…

Le téléski du Stade, construit en parallèle en 1980, est la remontée qui lui ressemble le plus : son tracé est très comparable à celui de la Floria et il possède aussi des couronnes anti-déraillement mais sur les poulies de support au lieu de celles de compression.

Pour les nostalgiques, les vestiges du téléski de la Floria encore visibles sont les massifs des pylônes n°8, n°9, n°14, n°16, n°17. Il est intéressant de noter que le téléski de la Floria fut le premier téléski du domaine à être entièrement remplacé par un télésiège, pratique qui allait se généraliser par la suite.

1) La construction de l’arrivée du téléski de la Floria (1961)
 
 
2) Le plan d’origine du départ du téléski de la Floria (vue latérale droite)
 
 
3) Le départ du téléski et son petit chalet en 1962, avant la création de la route d’accès 
 
 
4) Le départ en 1975, après la construction de la route des pistes
 
 
5) La poulie d’entrée de gare dépassant des épicéas et la file d’attente
 
 
6) La poulie de sortie de gare et le premier pylône en 1980, à la fin de la carrière du téléski
 
 
7) Le début de la ligne vers 1963
 
 
8) Le début de la ligne en 1968
 
 
9) Le début de la ligne en février 1978
 
 
10) Pylône 9 et le milieu de la ligne (années 1960)
 
 
11) Au niveau du petit chalet (années 1960)
 
 
12) Pylônes 13 et 14 enterrés sous la neige (mars 1970)
 
 
13) Pylône 19 et le sommet
 
 
14) La fin de ligne
 
15) L’inauguration du téléski en 1962 et déjà la queue !
 
 
16) La file d’attente, même en fin de journée (1978)

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Crédits photographiques :

Les clichés n°1, 3, 7, 10, 11, 12, 13 et 15 ont été fort aimablement fournis par M. Félicien Missillier. Les clichés n°2, 4, 5, 8, 9, 14 et 16 ont été fournis par Jérôme Rolland, qui a largement contribué à l’écriture de cet article particulièrement détaillé. Le cliché n°6  a été retrouvé par mes soins.

© Guillaume Attard pour www.ski-aravis.com (décembre 2009)

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