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Le télésiège débrayable biplace de la Joyère fut construit en 1973 sous la maîtrise d’œuvre de la commune du Grand-Bornand, dans le but de créer une liaison très attendue entre le village et le domaine skiable (photo 1). Il en constituait le premier tronçon, le second étant le télésiège biplace fixe de la Taverne, datant de la même année mais toujours existant ! Ces deux télésièges, qui ouvrirent au public en janvier 1974, furent les tous premiers à être installés sur le domaine skiable qui ne comptait jusque là que des téléskis.
Celui de la Joyère fut le quatrième télésiège débrayable installé par la société Poma, qui avait commencé à en produire l’année précédente sur le modèle de ses célèbres “œufs” à quatre places. Ces sièges possédaient les mêmes pinces “S” que celles des cabines, mais elles étaient simples au lieu d’être doubles comme sur les “œufs” : elles nécessitaient que les véhicules soient rentrés dans une gare chaque nuit, en l’occurrence dans la gare amont pour la Joyère.
Une quinzaine de mètres derrière la gare aval se trouvait sur le parking le lorry de retour, avec sa poulie suspendue à un grand pylône incliné par quatre câbles reliés à un gigantesque contrepoids entrant dans un puits au sol (photo 10). Ce dispositif était visuellement très impressionnant, surtout en période de marche intensive où l’on pouvait voir bouger de près d’un mètre le contrepoids et le lorry !
Le câble allait horizontalement jusqu’à la gare aval, qui était un petit bâtiment métallique aux murs recouvert de bois avec un toit en bardeau : elle demeure aujourd’hui le seul élément de cet appareil encore en place et abrite encore le départ de la télécabine actuelle. Ce qui faisait son originalité, c’était qu’elle était traversée horizontalement par le câble qui dépassait par deux fentes dans le mur du fond ainsi que par le pylône n°0 montant du sol à travers le plancher et équipé de balanciers 8S mobiles (= les “bananes”) supportant le câble avant qu’il ne plonge parallèlement aux lanceurs, les sièges étant débrayés avant et embrayés après celui-ci (photo 2).
Les skieurs faisaient à pieds le tour de la gare via un balcon avant de chausser puis y entraient latéralement à droite pour embarquer, l’installation tournant dans le sens antihoraire. Il fallait ensuite faire un quart de tour à droite pour se mettre dans le sens d’arrivée des sièges : tout ceci n’était pas franchement pratique !
Les sièges arrivaient à un rythme un peu saccadé à la vitesse d’environ 1m/seconde. Les véhicules en arceau aux formes rondes étaient dotés de sièges en bois en deux parties (dossier et appuie-dos) constitués de planches courbées, et plutôt confortables pour l’époque, sauf qu’ils ne disposaient pas de repose-pieds ! (photos 4 à 6). Ils avaient une suspente en “J” les reliant à la pince et du côté externe un boitier à skis, car seuls les piétons pouvaient emprunter l’engin en descente ! (photo 6). Une fois installé, on baissait le garde corps encore dans la gare et on accélérait dans les lanceurs assez courts avant de s’embrayer sur le câble pour voyager dès lors à la vitesse de 3.6 mètres/seconde, ce qui était prodigieux par comparaison avec les télésièges de l’époque !
La compression de sortie de gare, fixée au pylône n°1 en portique tubulaire (16C, c’est-à-dire 16 galets en compression), faisait faire une pente au câble depuis P0 et secouait pas mal ! La pente de la ligne devenait alors très forte (photo 5). Elle était soutenue par des pylônes à fûts également tubulaires dotés de potences en poutrelles à la sécurité rudimentaire (pas de passerelles, ni de rattrape-câbles) ressemblant à tous ceux des télésièges Poma de l’époque. Les n°2 et 3 (8S comme 8 galets en support) survolaient un champ puis on entrait dans la forêt avant de franchir le n°4 (également 8S, photo 3) puis le n°5 (12S), puis il y avait la route des Envers à gauche et le n°6 support (8S) était en haut d’une côte.
Ensuite, la pente s’adoucissait notablement, avant que le pylône n°7 (12S) n’annonce la sortie du bois. Il y avait ensuite le n°8 et le n°9 (tous les deux 8S) et le n°10 (6S) peu après le survol d’une grosse ferme sur la gauche. Ensuite se trouvait le n°11 (12C), la seconde compression de la ligne, qui secouait particulièrement. La pente forcissait de nouveau jusqu’au pylône n°12 (16S) situé en crête puis s’amoindrissait, soutenue par les pylônes n°13 (12S) puis le n°14 (16S) jusqu’à la gare d’arrivée, massif chalet métallique recouvert de bois destiné à stocker les sièges le soir (photo 3). On y débarquait et on sortait par le mur arrière.
Mais, lors d’une froide journée de l’hiver 1978/79, un balancier cassa sur le pylône n°11.
Etant donné le faible niveau de sécurité de la ligne, cela provoqua un déraillement tel qu’il fût impossible d’enclencher les moteurs de secours pour faire tourner et évacuer la ligne dans des délais raisonnables. La réparation prit un temps fou alors qu’il faisait un froid intense, ce qui occasionna une grande gêne pour les usagers ainsi qu’un très grand embarras pour la SAEM. Il fut donc décidé l’été suivant de transformer le télésiège en télécabine, six ans seulement après sa création.
Ainsi, à l’automne 1979, on transforma notablement la ligne :
- le pylône n°0 (avant G1) passa de 8S à 6S grâce à deux balanciers 6C récupérés sur le pylône n°11 et montés à l’envers
- la pente gravitaire du lanceur et du ralentisseur fut rallongée, ayant pour conséquence un relevage du plancher de la gare entraînant la création de quelques marches pour accéder à la porte d’entrée désormais située plus haut que la passerelle d’origine
- on ajouta donc dans la gare aval une rehausse de 620mm au pylône P0 support des “bananes” – on modifia les “bananes” pour les adapter aux cabines
- une sortie de gare G1 en 4C fut ajoutée
- le portique n°1 inchangé fut reculé
- le pylône n°10 passa de 6S à 2S6C2S
- le pylône n°11 fut démonté
- une entrée de gare G2 en 2S fut ajoutée
- la pente gravitaire du lanceur et du ralentisseur fut rallongée, ayant pour conséquence un relevage du plancher de la gare et une modification de l’accès
Les pylônes n°2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13 et 14 restèrent inchangé mais leur sécurité fut revue (ajout de patins anti balancement et de rattrape-câbles) et on modifia le cheminement de stockage en gare amont de façon à pouvoir accueillir les nouveaux “œufs” quadriplaces oranges frappés du logo en étoile du Grand-Bornand (photos 8, 9 et 11). Cette transformation permit de faciliter l’embarquement des usagers dans les deux sens, mais aussi d’augmenter leur confort si un arrêt venait à se produire ! La vitesse fut portée à 4 mètres/seconde.
On créa aussi à cette occasion la piste des Envers dont le bas était enneigé par des canons à neige bifluide grâce au tout premier réseau d’enneigement artificiel de la station. La centrale de ce réseau alimenté par le torrent du Chinaillon se trouvait d’ailleurs au sol de la gare aval de la télécabine !
Les sièges débrayables furent vendus à la Clusaz voisine, qui installa à la Combe des Juments un télésiège en tout point identique à celui du Grand-Bornand, quoique plus long, sur lequel ils tournent toujours ! En effet ce télésiège atypique (unique survivant de son espèce) existe encore et je vous recommande fortement d’aller lui rendre visite à la Clusaz : en le prenant, vous vivrez un moment unique !!!
Le débit de la télécabine devenant insuffisant, elle fut doublée en 1986 par la télécabine du Rosay (photo 10).
Mais les “œufs” de la Joyère avaient été les premiers au Grand-Bornand et d’ailleurs, dès leur origine, ils étaient devenus un emblème tel que la gare amont fut éclairée la nuit avec des spots disco vert et rouge visible de nuit depuis Thônes : après tout, on était en 1979 ! Des années durant, leurs lumières clignotantes annoncèrent aux voyageurs nocturnes depuis le sommet de la Joyère la prochaine et tant attendue arrivée sur le Grand-Bornand…
Peut-être furent-ils, dans la nuit du 04 janvier 1993, à l’origine de la fin tragique de cet étrange appareil qui, avec celui de la Grande Terche à Saint Jean d’Aups, fut le seul à avoir jamais été transformé en télécabine…
Un court-circuit provoqua en effet l’incendie de la gare amont et les pompiers ne purent rien faire, la zone étant très difficile d’accès l’hiver. Elle fut carbonisée, ainsi que tous les œufs qui y étaient stockés : la chaleur fut telle que le câble fondit avant de céder, occasionnant la chute du lorry de tension sur le parking aval…
L’installation avait trop souffert, et elle était perdue. Elle fut donc démontée durant l’été 1993 afin de céder la place à une autre télécabine également quadriplace et complètement neuve ressemblant beaucoup à l’originale ; seul fut conservé le bâtiment de la gare aval. Les “œufs” survivants garés en bas partirent pour Samoëns sur la télécabine des Saix, sur laquelle ils circulent encore.
1) La coupe en saignée dans la forêt vient matérialiser la future liaison (été 1973) |
2) La construction de la gare aval du TSD2 de la Joyère (automne 1973) |
3) La construction de la gare amont du TSD2 de la Joyère (automne 1973) |
4) La ligne du télésiège (1974) |
5) Une vue inédite prise de plus haut vers 1975 |
6) Retour vers le village après la journée de ski au Chinaillon (1975) |
7) La liaison village/domaine skiable : un nouvel atout de poids pour le Grand-Bornand (ici en illustration de la plaquette pour la saison d’hiver 1976/77). |
8) L’appareil tout juste transformé, en février 1980 |
9) La télécabine de la Joyère au milieu des années 1980 |
10) L’impressionnant lorry flottant de la Joyère en novembre 1986 lors du câblage du Rosay |
11) La ligne de la télécabine de la Joyère |
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Crédits photographiques :
Les clichés n°2 et 3 ont aimablement été fournis par M. Félicien Missillier. Les clichés n°4, 5, 6 et 9 ont été fournis par Jérôme Rolland. Les clichés n°7, 8 et 11 ont été retrouvés par mes soins. Le cliché n°10 provient du Dauphiné Libéré ©
© Guillaume Attard pour www.ski-aravis.com (décembre 2009)
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